jeudi 26 novembre 2015

Sex and violence : Jimmy Palmioti et Justin Gray défrisent Glénat comics !

Sex and violence Jimmy Palmioti et Justin Gray
Divers dessinateurs
Glénat comics
Nov 2015

On se demande à l’ouverture, ce que peut être ce nouvel album, et puis, à la lecture, on comprend : une sorte de compilation de récits écrits par Jimmy Palmioti, et dessiné pour chaque histoire, par un auteur différent.
Le principe est connu aux USA, plus qu’en France, même si l’éditeur Ankama nous offre avec Doggy bags, une sorte de parallèle intéressant. Et si Glénat enchaîne assez vite en publiant une édition française dés le deuxième trade paper back américain (Vol 1 et vol 2, de 64 pages chacun, 2013-2015, dont le premier financé sur le site Kickstarter), c’est tant mieux.

Il est en effet assez agréable de lire ce genre d’album, comme on suivrait une sorte de série, écrite par le même scénariste, mais où les acteurs seraient à chaque fois différents, tout comme les synopsis de chaque épisode.
Un ton, des ambiances, mais pas vraiment de lien.
Image issue de :
http://www.comicsbeat.com/

Ici, on découvrira : Pornland, Oregon, par Jimmy Broxton : un papa mafieu retiré veut venger sa fille assassinée;  Girlina storm, par  Juan Santacruz ; une flic lesbienne se la joue justicier amouraché; Daddy issues, par  Romina Moranelli : où il ne fait pas bon répondre aux avances d’une demoiselle; Red dog army, Rafa Garres; épisode hivernal avec la brigade canine de l’armée rouge dans l’enfer de la seconde guerre mondiale; et Filter,  Vanessa Del Rey : où un jeune garçon un peu moqué devient quelqu’un de vraiment pas fréquentable… et la galerie de couverture originales correspondantes.

5 récits tout aussi durs et sanglant les uns que les autres, mais avec l’intelligence scénaristique dont peuvent être capable de grands auteurs comme Palmioti et Gray. On se demande où ils peuvent bien aller chercher leurs idées d'ailleurs, car l’accroche se fait tout au long du recueil, grâce à l’originalité de leur écriture.

Au final, un bon petit livre de chevet pour faire de beaux rêves tordus, mais oh combien efficaces et jouissifs.

Publics avertis bien sûr.

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lundi 23 novembre 2015

Zen, méditations d’un canard égoïste

Zen, méditations d’un canard égoïste
Phicil/Drac

Carabas Oct 2015

Philippe Gillot, alias Phicil ne fait pas trop de bruit, mais affine son parcours d’auteur complet doucement. S’il a été vu au dessin dans des collectifs comme Paroles de taulards (Delcourt, 2008) on aurait tort de ne pas se (re) pencher sur la série moderne London calling consacrée à de jeunes frenchies partis tenter leur chance à Londres, où son dessin était déjà remarquable. Un récit rock qui mérite d’être découvert. (Futuropolis 2006 à 2010).
A la même époque, il attaque au scénario et au dessin sa collaboration avec Drac (couleur), dans la série animalière Georges Frog,  qu’on pourrait qualifier de « jeunesse », dans le New York des années 30. Sa maîtrise de musicologie l’a surement amené à traiter du sujet.
En 2012, il poursuit avec Boule de cuire, chez Carabas, encore avec un album animalier (mais pas que) où l’on croise déjà un canard.

Ce canard, on le retrouve aujourd’hui en apprenti zen, dans un récit à nouveau coloris par Drac, où Phicil fait montre d’un réel talent.
 
Jean est donc un canard vivant dans une cité qui ne lui convient plus. Son travail de bureau l’ennui, et puis, sa petite amie Josie l’a quittée.
A partir d’une publicité dans la revue Bronzage, (ça ne s’invente pas), il part sur les routes, afin de rejoindre une retraite pour étudier le Zen.
En chemin il rencontre Anatole, un âne avec qui il va arriver à destination.
Mais... suffit-il de vouloir se reposer lorsque l’on rejoint une école de méditation ?

Partant d’un constat assez banal, Phicil arrive à nous embarquer dans une histoire, qui, si elle n’invite pas l’action ou au suspens, (quoi que..), va, et c’est assez rare pour être remarqué, nous permettre de réviser ou de découvrir l’art de la méditation, de manière documentée, mais avec beaucoup d'humour, le tout dans un registre animalier.

Jean est ce qu »’on peut appeler un sceptique, et il faudra la durée de sa retraite (et donc de l’album) pour qu’il accepte de lâcher prise, et surtout de se découvrir lui-même.

Ce n’est pas le moindre atout de l’album de nous plonger dans les origines du zen, en repartant sur le traces historiques de Siddhartha Gautama (le bouddha éveillé), représenté ici sous forme de tigre, Bodhidarma, l’insaisissable, (un éléphant), et Asana, la sagesse. Chaque sage introduisant un  chapitre.

On se prête assez facilement au « voyage » intérieur de jean, et à la découverte de cette retraite, où apprendre à faire attention aux autres fait partie de l’enseignement. Et on en ressort assez... zen.. ce qui pour le coup, était sûrement un peu l’objet du présent album. Il est rare qu’une bande dessinée arrive avec une telle mise en abîme à faire passer un message. Aussi : bravo !

On recommandera donc celui-ci à toutes celles et ceux pour qui le zen veut dire quelque chose, ou qui souhaiteraient tout simplement offrir un peu de méditation/relaxation à leurs proches, et aux amateurs de bande dessinée, car le dessin au crayon de Phicil est agréable, tout comme les couleur douces de Drac.

Tous publics.


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vendredi 13 novembre 2015

Beaucoup de sang pour une princesse : un bon Manchette et un grand Cabanes.

La princesse du sangintégrale
Cabanes d'après manchette. Adaptation Doug Headline
Dupuis, nov 2015

On a déjà chroniqué rapidement ici, à l'occasion de la parution du tome 2, cette histoire de jeune fille de bonne famille enlevée, puis récupérée en grand fracas par un para militaire, et cachée de ses ravisseurs dans la jungle durant des années...avant d'être retrouvée, pas vraiment par hasard, par une photographe de guerre, mêlée malgré elle à une histoire d'espionnage internationale.
On avait aimé cette adaptation d'un roman inachevé de Manchette, auteur français culte de polars des années 70.
Aussi, on s'attardera surtout sur ce qui fait l'intérêt de cette intégrale.

...Il avait eu le nez fin Doug Headline, son fils, de choisir ce texte d'aventure, d'un genre nouveau, que son père voyait se dérouler comme un cycle : " Les gens du mauvais temps". Et même s'il n'a pas eu le temps de l'achever, son fils a eu l'excellente idée de faire appel à Max Cabanes, dessinateur plutôt marqué années quatre vingt, dont il ignorait le fil de la carrière à ce moment là.
Max cabanes qu'on a connu  lui aussi avec au moins deux périodes  : celle de "Les Villages", chez Dargaud, au tout début des 80's, étrange aventure éditoriale alors complètement déjantée, puis, autour des "Colins maillard", dans les année 90, où l'on a pu jauger de sa faculté à nous dessiner de très belles jeunes femmes pulpeuses,  fantasmes d'une enfance apparemment heureuse.. Avant qu'au milieu d'autres projets, certains titres installent insidieusement ce dessinateur dans la catégorie des auteurs réalistes, sans trop de bruit.
Je pense au dyptique des "Bellegamba", (2002) ou déjà se dessine ce trait particulier qui retiendra notre attention ici.
On peut aussi citer "La maison Winchester", (2004) chez Glénat, collection Loge noire, dont le sujet et le rendu ont du en surprendre plus d'un.
C'est donc a peu près à ce moment que Doug Headline fait appel à lui, et qu'ensemble ils travaillent sur le premier volume des aventures d'Ivory Pearl, la jeune femme indépendante, photographe de guerre, dans les années 50. (Dupuis, collection Aire libre 2009)

Ivory ne s'en laisse pas compter
©Dupuis/cabanes/Manchette
L'auteur travaille aussi sur une adaptation cinéma, et les versions s'accumulent. 
Le tome deux parait en 2011, et on tient là un superbe récit d'aventure politique, truffé de rebondissements, et de va et viens historiques et géographiques,  mêlant  espionnage et fiction, et puisant intelligemment dans les événements de l'époque : trafiques d'armes, enlèvements, putsch... Une réussite.
P.7 ©Dupuis/Cabanes/Manchette

Quatre ans plus tard, et alors que la critique a plutôt bien accompagné la parution des précédents tomes, voilà une dernière version, réarrangée, et rehaussée de 31 planches. (*)

Une aubaine,  et le sentiment de tenir vraiment un bon et bel album, et sûrement l'un des meilleurs de Max Cabanes.
Son dessin a en effet  tellement évolué qu'on le reconnait à peine.  Un trait beaucoup plus fin, comme esquissé, et pourtant encré. Un style nerveux très personnel qui m'a cependant par moments fait penser à Antonio Parras (le Lièvre de Mars).
Ceci dit, sur certaines cases, un peu plus grosses (effet de zoom numérique voulu, ou involontaire, car légèrement pixellisé), on retrouve le trait plus épais et rond de l'époque  Collin Maillard.

Bref, assez fait de détours, vous l'aurez compris : on aime le nouveau Cabanes, et le style des Manchette  lui va très bien, faisant de cette intégrale un incontournable de votre bibliothèque de bdphile. Et bien sur, une excellente idée de cadeau au passage pour les fêtes de fin d'année !


(*) D'après l'autocollant ornant la couverture. Planches complétées en fin de volume par 21 pages de notes de Manchette, un propos de Doug Headline, quelques croquis,  et les couvertures des précédentes éditions, dont celle d'un coffret.


A lire : l'interview des auteurs sur ActuaBD

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jeudi 5 novembre 2015

"William, it was really nothing" dit l'unité combattante Trudaine

Unité combattante Trudaine
Ricard/Rica

Glénat
Sept 2015

Comme d'habitude une couverture peu anodine et dynamique attise ma curiosité. Un gars casqué et masqué balançant un cocktail molotov. Et ce titre, assez étrange...
De quoi s'agit il ?

13 mars 1982, Gabriel Chahine est assassiné à son domicile.  Il avait permis l'arrestation de Jean Marc Brouillon et Nathalie Menijon, membres fondateurs d'Action direct le 13 septembre 1980.
Après cette introduction dynamique d'une page, les trois suivantes nous résument un peu lourdement ce début de décennie, et le contexte dans lequel cette organisation anarchique et "terroriste" française a défrayé la chronique avec des attentats-suicides toujours plus violents.
En effet, le principe d'une galerie de cases portraits de tout ce qui faisait l'actualité sociétale d'alors, sous titré de manière à peine décalée par un texte explicatif, pèse un petit peu pour une introduction...

Néanmoins, le récit débute et l'on va suivre les tribulations de trois jeunes gens : Sandrine, Serge et Yann, qui, par soif de reconnaissance (d'existence), et par dégoût de leur propre vie pas assez intéressante sûrement, vont essayer de laisser autant de traces que leurs aînés d'Action directe.
Ils n'auront de cesse de commettre des délits sur la Police, en signant leurs méfaits de "Unité combattante Trudaine" du nom de la rue parisienne où le 31 mai 1983, une fusillade d'AD a tué deux policiers et blessé un troisième.
La police, qui commence à prendre au sérieux ce nouveau groupuscule, infiltre William, un jeune officier, dans la bande.
Pages 4-5 ©Glénat/Ricard/Rica
Si le dessin noir et blanc dynamique, aux trames grises de Rica, porte ce récit, c'est parce qu'il est difficile au premier abord de trouver un grand intérêt à une histoire, qui, plutôt que de se contenter de raconter celle d'un groupe historiquement connu, en créé une autre, de toute pièce.
L'effet de miroir ou de redondance sur les archives agace donc dans un premier temps, surtout lorsque l'on cherche dans une fiction des éléments un peu originaux.

Mais c'est peut-être là que l'auteur essaie de nous surprendre, en replaçant effectivement sa trame dans un contexte, tout en évitant de trop jouer le documentaire. Il est en effet assez facile d'imaginer que se servir des faits et des noms réels d'un groupe anarchiste dans une bande dessinée aurait pu poser problème, ne serait-ce qu'en termes de message. Qui avait tort ? Qui avait raison ? C'est toute la problématique d'un scénario basé sur le documentaire de faits répréhensibles. Jusqu'où aller ? Et comment ?

Ricard a donc opté pour l'entre deux, comme on l'a vu. Mais, si l'histoire de ses jeunes reproduit quasi à l'identique quelques "aventures" du groupe Action direct, jusqu'à sa fin, et que l'on ressent donc une certaine déception dans un premier temps, son option de nous placer finalement dans la peau du personnage de William, l'infiltré, lui permet de nous rendre conscient des enjeux complexes de l'histoire (avec un grand H).

Belle pirouette, qui laisse au final une sensation trouble, comme celle de cet anti héros qui aura gouté aux deux côtés du miroir...mais qui ne saura en profiter.

Un épisode des années quatre vingt qu'il n'était pas inintéressant de mettre en lumière.
Pour tous publics, dès 11 ans, avec accompagement.



Ps : pour ceux qui n'auraient pas compris le jeu de mot du titre :
https://www.youtube.com/watch?v=_XqNYnV0W6o

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dimanche 1 novembre 2015

Porcel et Zidrou magnifient le bouffon

Bouffon
Zidrou/ Porcel

Dargaud
Août 2015

"Aussi loin que je me souvienne"... je n'ai pas lu d'aussi belle histoire médiévale que celle-ci, à par le Parfum de Suskin.

...Quel rapport me direz vous entre une bande dessinée et un roman, certes adapté au cinéma, mais un best-seller de 1996 ?
> Son époque, à quelques années près, certainement, et surtout, sa poésie.
Raconté en voix off, avec un style conté typique de nos histoires de Perrault, ce récent album très stylé du prolifique scénariste Zidrou possède les attraits du parfait cadeau.

Nous sommes au moyen âge, dans la région du Quearn, entre le 14e et le 15eme siècle a vue de nez. Dans les geôles du conte d'Astrat, croupit un ancien page, qui n'a plus les faveurs de son seigneur. Il va nous conter l'histoire de Glaviaud, l'enfant difforme d'une jeune ribaude, qui, parce qu'elle a bien voulu rendre service à un chevalier mourant, va se retrouver aussi emprisonnée et subir les outrages des mêmes geôles, jusqu'à mettre bas à cet enfant, puis mourir, et être jetée dans les douves, comme un vulgaire déchet, destin de tous ces malheureux croupissants dans la basse fosse.
Mais Glaviaud va survivre,  par la grâce de Dieu, et grandir là, jusqu'au jour où le conte lui offrira l'opportunité de devenir le bouffon de sa fille, événement qui marquera sa vie, et celle de ses contemporains ...

Si l'histoire d'un enfant difforme pourra rappeler à certains égards le Beauté de  Keraskoet et Hubert, chez Dupuis (histoire complète en 3 tomes), Bouffon m'a personnellement plutôt remémoré le ton d'un Jean Teulé, lorsqu'il nous conte Villon, ou Charles 9, plus récemment. En fait une description cruelle mais assez juste des us et coutumes de cette époque "difficile", avec le supplément de poésie nécessaire à ce qui fait un conte.


Le dessin semi réaliste de Francisco Porcel, dans l'esprit d'un Christian Rossi, a gagné en intensité et nous offre de belles planches aérées, aux couleurs douces et naturelles, mettant en valeur tout au long de l'album les costumes d'époque; faisant jusqu'à ressentir les velours. Tout comme il habille parfaitement ce conte extraordinaire.
La couverture, grand format, dos rond, couleur marron mate, et aux dorures discrètes, offre un bel écrin au contenu.

Un album recommandé, et pour tous publics, même si certaines scènes d'introduction peuvent choquer les plus jeunes.

Le blog du dessinateur : http://pajasdmono.blogspot.fr/

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Analyses