lundi 24 octobre 2016

Le temps des sauvages de Sebastien Goethals : un roman graphique à dévorer !

La couverture, à elle seule, est un petit bijou.
Le temps des sauvages
Sébastien Goethals
Futuropolis
D'après le roman de Thomas Gunzig : Manuel de survie à l'usage des incapables.
Oct 2016, 168 p.

Sébastien Goethals, dessinateur spécialisé en polar et beaucoup vu chez Bamboo/Grand angle ou chez Soleil, signe là son premier roman graphique, hors série, et surtout seul. Il adapte un roman très bizarre, Sélection Prix Mauvais genres 2013, et Prix triennal du roman de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2016.

Tout d'abord on ne comprend rien : deux vieux jumeaux assis dans un petit salon étriqué racontent à un interlocuteur invisible (cela pourrait être nous) l'histoire vrai de Charles C Baker, qui en 1960 a eu l'idée d'inventer le beignet de poulet (le nuggets), mais n'a jamais pensé à déposer un brevet.  Il s'est fait déposséder par le créateur de la chaine Mac Donald, et personne ne se souvient de lui. 

Ce prologue introduisant l'univers du marché économique passe ensuite à une sorte de générique et une mise en abimes, où l'on pourrait quasiment entendre de la musique, celle d'une caisse enregistreuse . Nous sommes en effet dans un supermarché et le livre que nous sommes en train de lire passe sur le tapis roulant...


Une société de consommation rendue folle

Dans ce supermarché travaille Jean, un jeune agent de sécurité, à peine trente ans, et aujourd'hui il est en planque avec un collègue, en train d'observer une vieille caissière. Nous sommes en effet dans un futur proche, et le monde dans lequel nous vivons est basé entièrement sur la compétitivité, la perfection, l'obligation de réussite. Martine La verdure a la malchance d'aimer un de ses collègues, or le moindre signe de rapprochement, sur leur lieu de travail, peut leur être fatal. C' est ce qui va arriver, très rapidement, car la faute est attendue et même recherchée par l'employeur.  Mais une fois tous deux convoqués dans le bureau de la DRH, la situation si injuste et violente va générer une série d'accidents qui vont aboutir en cascade à la mort (le crime même) de Martine. 
Fin du premier acte. 
La suite, qui en réalité commence dès le début, mais en parallèle, met en scène une bande de quatre bandits cagoulés, très souples, animal même dans leurs attitude, qui vont attaquer au bazooka et explosifs, de manière très professionnelle, mais sauvage, un fourgon blindé appartenant â la chaine du même supermarché. 
Ces quatre frères : Blanc, Brun, Noir, Gris , des hommes loups, sont en fait les fils de Martine. Et leur vengeance de sa mort va tendre le déroulé de cette histoire, vraiment spéciale...
Une planche d'introduction magnifique,
aux allures de Boucq.
Si on partait d'un roman déjà très particulier et de qualité, et Thomas Gunzig est connu pour son originalité, il est admirable de voir avec quel brio Sébastien Goethals a réussi à créer un Roman graphique tout aussi précieux. On a,  dès la première planche, très poétique, et on le sent, tel un flashback, une ambiance qui est posée. Sébastien maîtrise sa mise en page et possède un dessin noir et blanc superbe, au lavis gris élégant, qui rappellera ici celui de Boucq. Trait fin, belle dynamique, noirs bien noirs, et dialogues au ciseau. On est séduit par autant de perfection.

En dehors du rappel esthétique lorgnant vers Boucq, on pourra aussi penser quelques instant à la série Lloyd Singer. Peut être vis à vis de la proximité éditoriale des deux auteurs (édités chez Bamboo tous les deux), mais peut être aussi pour l'espèce de folie latente transpirant du scénario.
Une maîtrise du suspens et de la tension,
comme des scènes d'action.
Cela s'arrête, ceci dit, là, car ce qui sous tend Le temps des sauvages, ce sont, d'une part l'élément très important du système économique ultra libéral de l'histoire, permettant une critique très forte d'un système, pas si éloigné que ça du notre (on est ici dans un pays européen, non loin de la Russie), et d'autre part l'élément fantastique omniprésent, caractérisé par les détournements pirates de gène codes, réalisés sur certains enfants,  les ayant amenés à voir mélangées certaines caractéristiques animales à leur ADN. Il n'y a pas que les loups d'ailleurs qui possèdent ces facultés. Cela présente l'intérêt d'un suspens bienvenu dans les retournements de situation. C'est donc ce subtil et intelligent mélange d'éléments qui donne toute l'étrangeté et la saveur de ce récit, que l'on dévore avec passion.



Le système de flashback-prologue/conclusion- fermeture de l'histoire, très cinématographique, ajoute à l'esthétique et confirme aussi le sentiment d'une maîtrise scénaristique, peu commune. On remerciera donc pas un, mais deux auteurs, pour nous donner autant de plaisir. 
Un lauréat pour Angoulême, cela va de soit. 


jeudi 13 octobre 2016

New York comics, une visite guidée de la capitale des comics

New York comics
Une visite guidée de la capitale des comics
Christopher Irving, Seth Kushner
Howard Wallach
Muttpop France/Glénat
Oct 2016

New York comics est un livre de 160 pages sur les comics et sur New York. Réalisé par trois américains :  Christopher Irving, associé à Seth Kushner,  photographe*, ce dernier lui-même soutenu par Howard Wallach suite à son décès prématuré, il propose, comme son sous-titre l'indique, une visite des principaux lieux qui ont fait ce média. Avec, pour chacun des 33 chapitres qui constituent le sommaire : un article, une photo couleur et quelques vignettes choisies tirées de comics. Treize questionnaires,  façon madeleine de Proust, répartis au fil des pages, interrogent des personnalités, françaises en majorité, sur leurs affinités avec new York et les comics. Leurs portraits sont dessinés par Lorenzo Chiavini.

Neuf mini citations d'auteurs américains influents, accompagnent leur photo, disséminées au sein de l'ouvrage.
La préface est de Dough Headline. Et Alexandre Vende, responsable de la plateforme Bons plans voyage New York répond sur deux pages à quelques questions sur le sujet en fin de volume.




Si de premier abord, ce bouquin format moyen, à la couverture arty deux couleurs et à la maquette agréable inspire la sympathie, il est aussi bien écrit et plutôt original sur son propos. A ma connaissance, cela n'avait pas encore été fait en France.
Que ce soit dans l'introduction de Christopher Irving ou au sein de chaque chapitre, on prend beaucoup de plaisir à lire les anecdotes concernant ces quartiers, immeubles, studios d'artistes. De plus, ces courtes notices, de 1 a 4 pages maximum, permettent de résumer, voire de préciser de belle manière ce que l'on pouvait éventuellement déjà connaître un peu au travers d'autres livres consacrés à des éditeurs ou des auteurs.

Un guide à la fois séduisant et concis, qui associe en outre un voyage historique et un autre géographique au sein de la grosse pomme, aujourd'hui.

(*) Déjà auteurs tous deux de "Des comics et des artistes, portraits" (Muttpop, 2013, réédité en Sept 2016)

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mardi 4 octobre 2016

Anlor prend son envol chez Grand angle avec "A coucher dehors"


A coucher dehors
Ducoudray et Anlor
Grand angle
Sept 2016

Une couverture de toute beauté. Une thématique science-fiction humoristique ?... La curiosité est aiguisée et on ouvre ce nouvel album d'Aurelien Ducoudray avec envie.

Amédée et ses potes de galère : Prie-Dieu et la merguez, sont trois SDF qui vont se faire déloger de dessous leur pont aujourd'hui car les rives de Paris doivent être laissées propres pour les touristes l'été. 
Au moment où les choses s'enveniment avec la police, un évènement inattendu se produit : un notaire vient signifier à Amédé son héritage de la grande tante Adelaide : un superbe pavillon de banlieue.  une seule condition à cela, qu'il prenne en charge Nicolas, le fils trisomique de la défunte, un jeune homme fanatique de Youri Gagarine.


L'idée était très bonne. Le rendu est impeccable. Fort d'un scénario et d'un humour maîtrisés, "A coucher dehors" se révèle être une excellent surprise.
Aborder à la fois le thème des SDF et de la trisomie dans la même histoire n'était pas chose aisée, tant il faut savoir doser l'aspect réaliste et l' aventure, nécessaire dans une collection comme Grand angle. Mais Ducoudray y ajoute une grosse dose d'humour qui apporte l'ossature primordiale au récit.

Le "temple multireligions" des trois SDF
©Ducoudray/Anlor/Grand angle

Anlor (Anne Laure Tran), quant à elle, nous ravit avec son dessin moderne, souple et très dynamique, aux réminiscences de Loisel et Mourier. Elle assure aussi avec grande efficacité la colorisation, aux dominantes bleues et orangées particulièrement agréables. Il s'agit de son troisième travail dans l'univers de la bande dessinée, et le deuxième projet avec Ducoudray (Amère Russie en 2014-2015), faisant suite aux Innocents coupables (2011- 2013, avec Laurent Galandon). Je ne la connaissais pas avant cette lecture, avait juste vu passer une couverture des "Innocents", mais il va sans dire qu'avec une telle réussite, je suivrai dorénavant avec davantage d'attention son travail.

A coucher dehors réussi le pari d'un one shot agréable et maîtrisé tant au niveau scénario qu'au niveau graphique. Les personnages, très attachants, aux trognes succulentes, évoluent ceci dit dans un environnement bien posé qui nous laisse à la 48tieme page face à une fin ouverte, comme la possible promesse d'un début de (nouvelle) série. C'est tout ce que l'on souhaite à ces deux auteurs talentueux. Tout public, et recommandé.


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Analyses